Argumentaire
Aristote au-delÀ des frontiÈres
par Jean-Marc Narbonne
Aucun auteur de l’Antiquité, peut-être, n’a permis autant qu’Aristote de mettre en contact les êtres humains entre eux malgré les frontières du temps et de l’espace, à travers les barrières des langues et de leurs traductions, des cultures, des religions et des idéologies diverses. Aucun philosophe n’aura entretenu des visées aussi universalisantes et sans frontières. C’est le cas, notamment, dans le domaine de la métaphysique, de la logique, du politique ou de la poétique.
En métaphysique, le questionnement poursuivi sur l’étant en tant qu’étant, sur les causes de l’être en général et sur tout ce qui relève de l’universel – c’est-à-dire du καθόλου – témoigne d’une volonté de se dégager de tout particularisme pour atteindre la scientificité la plus exigeante et la plus englobante.
La logique est par elle-même universelle dans la mesure où elle est de nature formelle, or c’est Aristote qui entame ce chantier en recourant à la langue naturelle pour formaliser. La logique est aussi universelle dans son but : aboutir à une proposition affirmative universelle vraie, atemporelle et nécessaire. L’on peut aussi faire remarquer que la manière dont naît l’universel, que l’universalisation de la science elle-même, n’est pas sans implication politique. Il ne s’agit pas là de paroles vides : rien n’a autant favorisé ni encouragé l’échange et la communication interculturelle que l’établissement d’une grammaire universelle pour la pensée scientifique.
La double dimension, universelle/particulière, se retrouve également dans sa physique et sa biologie, surtout dans les Parties des Animaux, en lien par exemple avec les questions de méthode : d’abord aborder ce qui est le plus commun, les fonctions ; et ensuite leur particularisation dans les genres ou les espèces.
Le même souci s’affiche dans le domaine politique, dans la mesure où l’enquête poursuivie sur le passage de l’individu à la famille, de la famille au village puis à la cité proprement dite, vise la vie humaine considérée globalement et sous tous ses aspects, sans oublier la considération dans le tableau d’ensemble des peuplades et des mœurs les plus exotiques. Surtout, dans sa définition de ce qui représente l’essence même du citoyen et de ce qui constitue la nature propre d’une cité, il est bien clair qu’Aristote entend parler de toutes les communautés humaines et cela pour tous les temps.
Dans l’ordre du poétique ou du poiétique, bref du faire, du créer ou du concevoir, l’on voit aussi Aristote tenter de remonter au principe originel de tous les arts, qu’il s’agisse de la poésie au sens étroit ou de la musique, de la peinture, sculpture, danse, etc. Non seulement l’enquête sur le ποιεῖν dans ses différentes manifestations ne connaît pas de frontières, mais elle est mise en rapport sur le plan épistémologique avec les autres facultés humaines, théorétiques et pratiques, dans la volonté de poser les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes dans leur universalité la plus absolue.
De là l’intérêt d’un Call for Papers pouvant mettre en évidence des axes de recherche convergents et communs pour les aristotélisants du XXI siècle. Les contributions en vue auront à cœur d’attirer l’attention sur les aspects les plus généraux et les plus universels de la pensée aristotélicienne, quel que soit le domaine spécifique visé.
Talking Point: Aristotle across Boundaries
by Jean-Marc Narbonne
Université Laval, Québec
jean-marc.narbonne@fp.ulaval.ca